« Panta rhei » en grec ancien “toutes les choses coulent” est le titre de l’exposition d’Hicham BERRADA à la Corderie Royale de Rochefort que la classe CPEES-CAAP du lycée de Réne-Josué Valin a pu visiter. Cette exposition voit le jour dans le projet « Mondes Nouveaux », une initiative du ministère de la Culture, en collaboration avec le centre des Monuments Nationaux et le Conservatoire du littoral. L’exposition est encore visible jusqu’au 5 Janvier 2025.
Hicham BERRADA est né au Maroc et a étudié à l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris (où il est désormais professeur) puis au Studio National du Fresnoy à Tourcoing. C’est un artiste de renommée internationale qui a exposé par exemple au Louvre-Lens ou à la Hayward Gallery à Londres. Son œuvre est présente dans de nombreuses collections publiques et privées. Il a également participé à différentes biennales et triennales comme celle de Yokohama, Lyon, Taipei ou Genève.
Le titre de l’exposition est une expression attribuée au philosophe Héraclite, qui évoque la mobilité du monde et sa navigation dans le temps. Cette évolution du monde est le sujet de la pratique plastique et artistique de l’artiste. Il travaille cette loi physique du point de vue du minéral et de son altération à différentes échelles temporelles. Ses productions sont des créations toutes différentes par le protocole qu’il utilise. En effet, il travaille à partir d’observations faites sur chaque matière étudiée pour créer ses œuvres et expérimente beaucoup en laissant ainsi de la place au hasard dans son travail. Ses travaux évoquent souvent des paysages au centre d’une relation au monde relevant à la fois du scientifique et du poétique. Le paysage et le travail sur le minéral sont deux passions de l’artiste depuis son enfance. L’exposition de Rochefort se compose de cinq sculptures de résine et d’un triptyque vidéo, qui leur fait face.
Le travail de Hicham BERRADA est une poésie, ses créations sont une ode à la rêverie, à la contemplation et à l’imaginaire. En effet, la pratique et le protocole de l’artiste montrent une dualité. Pour réaliser ses cinq pièces en résine, il soumet des scans de paysage, imprimés en 3D, à une électrolyse. Par un courant électrique faible pendant une très longue durée, (environ 4 à 6 mois), se créent, chez les métaux en jeu, une décomposition artificielle qui va permettre la création de matière telle que des cristaux. Après un certain moment, l’artiste décide d’arrêter le processus pour récupérer une structure finale. Celle-ci, l’artiste va la figer dans le temps en la conservant dans de la résine, provoquant la fixation de poussière de métaux dans toute la structure créant un filtre vaporeux. Chacune de ses œuvres à ses propres spécificités, en fonction notamment des métaux utilisés, comme le cuivre, l’aluminium ou l’étain.
L’artiste cherche à activer des phénomènes naturels pour façonner des mondes nouveaux, en questionnant notre rapport à la nature et à l’artificiel de nos environnements. Ses œuvres, par leur caractère à la fois extraordinaire et poétique, viennent créer une sorte de paysage onirique figé dans le temps dans des formes nous rappelant parfois des fonds marins, des déserts ou encore des falaises. L’artiste mélange le poétique et le scientifique pour nous permettre d’observer et de nous questionner sur notre éphémérité et sur le mouvement naturel d’un monde en mouvement et en perpétuelle évolution.
L’artiste fournit en plus des cinq résines, un triptyque vidéo. Ces vidéos sont composées d’une centrale montrant la désagrégation d’une roche durant un time lapse de 2 min. Il réalise ces 3 vidéos à partir de la photogrammétrie : une technique qui consiste, à partir d’un scan de l’objet, à en réaliser un modèle 3D. Il a par exemple scanné un rocher d’une dizaine de mètres de haut, dont il s’est servi pour ses 3 vidéos. A partir d’une reproduction de 20 cm de ce rocher, il confrontera la matière (du plâtre) à de la pluie artificielle dans une boîte hermétique filtrant la lumière pendant environ 40 jours. Durant ce temps, il filmera la dissolution de cette roche et obtiendra cette vidéo de 2 minutes.
C’est cette même roche observée en Bretagne qui servira de modèle pour les deux autres vidéos basées sur la création d’algorithmes simulant la morphogenèse (c’est-à-dire la création de la matière). Cette recherche est une manière de percevoir les évolutions de matières dans le temps, à travers des formules mathématiques. Ces algorithmes permettent de reproduire les phénomènes naturels comme la croissance des coraux, l’érosion ou la dilation, de comprendre comment les formes naissent et évoluent dans la nature et de mieux comprendre le mouvement de la matière. Ses œuvres viennent créer chez le spectateur une impression d’absorption et d’immersion dans la matière presque vivante par ses formes en extension. Ses productions interrogent la temporalité de notre monde, des choses qui nous entourent dans une démarche de contemplation de phénomènes que nous pouvons observer. Hicham BERRADA nous ouvre ainsi une porte à la découverte de phénomènes dont nous avons à peine conscience par des œuvres hypnotisantes et captivantes.
Hicham BERRADA propose un temps de pose de réflexion à travers une contemplation. L’artiste s’inscrit dans une démarche où l’art devient une méditation. De ce fait, il est véritablement un créateur de mondes nouveaux, par son utilisation de la matière et des phénomènes chimiques comme médiums plastiques. Il nous invite à une prise de conscience du temps, nous amenant à une contemplation et une réflexion sur notre environnement.
Compte-rendu réalisé par Elise Grenthe et Joschka Eigner