Entre le 30 août et le 4 octobre, Intermondes Humanités Océanes a accueilli le Mobile Decolonial Do Tank (MDDT : groupe d’action qui met en lien créateurs et communautés autochtones avec les musées européens et les régions qui préservent ou exposent la culture matérielle, les arts et le patrimoine autochtones), projet initié par la commissaire d’exposition canadienne Catherine Sicot.
Celle-ci a réuni à La Rochelle, Barry Ace, un artiste originaire
d’Ottawa, capitale du Canada que les populations natives nomment l’île de la
grande tortue, et deux artistes français, Olive Martin et Patrick Bernier, qu’il a
rencontré l’année dernière à Nantes.Ceux-ci sont tombés dans l’art du tissage et se sont formés au Sénégal, un pays où l’art du tissage est très répandu et convoqué pour des occasions diverses telles que des mariages ou des naissances. Ils y ont découvert différentes utilisations du métier à tisser qu’ils ont continué à développer dans leur bateau atelier de Nantes.
Cette collaboration consiste en la fabrication d’une ceinture qui représente les cultes autochtones. Ils réalisent cette œuvre dans un objectif décolonial, car beaucoup d’objets rituels ou sacrés sont actuellement dans des musées, enlevés à leurs peuples lors de la colonisation. Or, leur place est auprès des populations auxquelles ils appartiennent. Cette ceinture a donc comme objectif de figurer et d’expliquer les rituels dans cette perspective décoloniale.
La CPES-CAAP Valin est allée à la rencontre de ces artistes alors qu’ils réalisaient ce travail. Quand nous sommes arrivés, nous nous sommes étonnés et avons demandé ce qu’était l’installation devant nous (le métier a tisser, réalisé à partir d’un échafaudage galvanisé), Barry Ace nous a alors répondu « un ordinateur ». En effet le métier à tisser repose sur un principe binaire, bi-optionnel, passer le fil de chaîne au-dessus ou en dessous du fil de trame (0/1/0/0/0/1/1/0…). De plus les motifs réalisés évoquent par les couleurs et traits choisis la carte mère d’un ordinateur.
Cette ceinture ( dont le titre est Bsaakwabwidmaagan ramener quelquechose à son propriétaire en ouataouais) est également porteuse de message, et ce à plusieurs échelles. En effet, cette dernière transmet à la fois un message de paix et d’entente, mais elle est également un symbole d’échange pour les peuples autochtones ayant subi la colonisation de pays européens. Cette œuvre est également pensée comme un langage visuel visant à inciter à rendre ce qui appartient à la culture autochtone. Elle occupe ainsi un rôle à la fois diplomatique, sacré et contractuel. La pratique artistique de Barry Ace donne alors une nouvelle forme de vie à ces objets de tissage, en inculquant de nouveaux messages au sein même d’une pratique pourtant ancestrale.
L’artiste nous a également expliqué plus en détail la signification des motifs visibles sur l’ouvrage. Certains d’entre eux à l’apparence pourtant abstraite représentent en fait la croyance autochtone du skyworld et de l’underworld, soit le monde du dessus et le monde du dessous.
Dans les croyances autochtones, ces deux royaumes seraient destinés à mener une bataille perpétuelle et à forces égales, créant ainsi une forme d’équilibre dans le monde des hommes. Cependant, toujours selon ces croyances, ce combat serait aujourd’hui déséquilibré, causant ainsi de nombreuses perturbations au sein de notre monde bloqué entre ces deux derniers.
La culture autochtone n’est pas la seule chose représentée sur ce tissage, une carte mère représentée plutôt clairement au début de la ceinture ainsi qu’un bateau évoquant l’atelier des deux artistes nantais cohabitent avec les motifs traditionnels. Cette notion d’hybridation des objets est en fait très familière à l’artiste outaouais, puisqu’il a également déjà produit des ceintures de perles incrustées de petits composants électroniques. Modernité et technique ancestrale se retrouvent donc mêlés.
Concernant l’avenir de cette œuvre, lorsque nous avons questionné l’artiste au sujet de sa finalité, ce dernier nous a répondu que ce tissage n’était pas destiné à être un jour véritablement achevé, mais qu’il resterait sur le métier à tisser, en état de production.
Compte-rendu réalisé par Océane Challal & Madeleine Vinatier, étudiantes en CPES-CAAP au lycée René Josué Valin