Lors de sa résidence au Centre Intermondes, Julius Redillas s’est penché sur la question des mythes fondateurs de La Rochelle. Ayant son propre bagage culturel en grandissant aux Philippines, il a pu comparer les mythes et légendes de son pays à celles de La Rochelle pour en faire une exposition.
Dans cette optique, il consacre sa première semaine de résidence aux recherches. Il visite en premier lieu l’aquarium où la science l’inspire
lorsqu’il observe le processus de formation des coraux. Après cette première approche, il se tourne vers la bibliothèque dans le but de trouver des réponses. Comment les humains étaient-il avant, comment la ville a-t ’elle été créée…? Il découvre alors le mythe de Mélusine, sirène emblématique de La Rochelle.
En effet, il est raconté qu’elle aurait construit les murs et les tours de la ville en faisant tomber des pierres. Le mythe de Mélusine n’est cependant pas nécessairement spécifique à La Rochelle s’étendant au nord-ouest de la France et ailleurs en de nombreux endroits en Europe. Mais ce qui intéresse Julius Redillas à présent c’est d’explorer l’histoire de Mélusine. Il constate que chaque province a une version singulière de ce mythe. Mais celle qu’il a retenu pour son exposition qui en fera le titre est la suivante. Mélusine promet à son mari de protéger la ville à condition qu’il ne la cherche jamais les samedis car une malédiction la transforme en monstre. [C’est pourquoi l’exposition s’intitule « Something happened on Saturday » comme un clin d’œil.] Mais il finit
par découvrir son secret, alors, elle prend la fuite. Cependant, elle revient de temps en temps pour veiller sur ses enfants.
En parallèle, le mythe de Kabunyian, dieu des Philippines, présente des similarités avec Mélusine. En effet, Kabunyian, lui, est créateur de l’homme. Par ennui, il commence à façonner de l’argile, encore et encore dans l’objectif
d’atteindre un homme parfait. Chacun a alors un rôle créateur.
Sa série d’aquarelles reprend alors ce principe de créer de multiples visages qui se conforment au matériau à la façon de Kabunyian, ici, à l’eau. En effet, il laisse des formes se créer en fonction de l’eau qui coule sur le papier. Les visages n’ont alors pas de traits distinctifs et n’ont pas d’identité, on peut alors s’imaginer qui nous voulons dans ces visages, à la fois semblables et à chaque fois différents.
D’autre part, Julius emploie la peinture à l’acrylique pour réaliser un triptyque sur toile. La matière ne se diffuse pas comme l’aquarelle, il y a beaucoup plus de contrôle et c’est à lui de guider les formes. Il décide d’ailleurs d’effectuer un travail de gravure dans la peinture qui est suffisamment épaisse pour le permettre. Ces visages semblent alors être à vif comme si nous voyions la chair, les muscles. En effet la question de la peau est très importante ici car en mêlant l’histoire des Philippines, il ne faut pas oublier que c’est un pays colonisé (d’abord par l’Espagne dès 1565 puis sous contrôle étasunien après la révolution contre les espagnols en 1896 – les Philippines trouvant leur indépendance en 1946) et que la couleur de peau, dans les mœurs, représente la classe sociale. Une personne noire sera associée à la pauvreté, une personne blanche à la richesse. Julius Redillas joue avec la question de l’identité et décide ici de ne pas montrer la couleur de peau, c’est aussi pourquoi il n’a pas réalisé leurs vêtements en laissant ce vide. Les vêtements, d’ailleurs sont aussi un marqueur social fort, mais on pense aussi aux uniformes qui aux Philippines sont blancs. De plus, ces « vides » ne laissent apparaître aucun relief ce qui ne nous permet pas de reconnaître le genre de ces personnages.
Pour la création de toutes ces figures, il imagine les enfants de Mélusine. Mais, Julius Redillas comme il le dit n’est pas un conteur d’histoire et ses œuvres ne relèvent pas de la narration non plus. C’est la fondation qui est importante, il part d’histoires, de mythes et de légendes pour créer. Il nous explique qu’il considère que les récits sont là, autour de nous en permanence, qu’ils nous fondent.
En revanche, tout au long de sa résidence, il tient un carnet dans lequel il imagine des mises en pages, et des façons d’écrire en s’inspirant des livres qu’il a pu lire. Il y raconte les samedis de Mélusine en se mettant à sa place pour s’imaginer ses journées. Plusieurs pages sont alors aussi exposées.
Julius Redillas est alors un artiste qui s’intéresse à l’identité, aussi bien des territoires que des populations. Ces deux notions sont d’ailleurs toujours étroitement liées.
En dehors de cette exposition, on constate que l’artiste garde ce sujet, avec par exemple la création de vidéos représentant des îles virtuelles et des méta vers qui pour lui seraient des lieux de vie dans une seconde vie. Il crée aussi des planètes imaginaires, notamment une de chair. On remarque encore une fois des similitudes avec son travail en résidence.
Il filme aussi des personnes indigènes se colorant le visage en blanc White painting, en référence avec la performance vidéo de Bruce Nauman Art Make-Up, posant la question de l‘identité de certains peuples colonisés.
On en apprend alors beaucoup lors de cette rencontre sur un artiste, même le temps d’une résidence, car son style artistique est fondé et remarquable.
Compte-rendu de rencontre réalisé par Jeanne Delva et Chloé Le Guennec, étudiantes en CPES-CAAP au lycée Valin.