Modus Operandi

Visite de l’exposition Modus Operandi à l’hôtel Craon, ancien hôtel de Police de La Rochelle – Entre deux opérations de travaux immobiliers, le groupe Chessé, à travers sa fondation d’entreprise Encore ! a mis à disposition durant trois mois l’hôtel Craon alors en chantier à 5 jeunes artistes sélectionné.es par un jury.

Compte-rendu de visite par Noémie Guillaud et Lael Fahy, étudiant.es de la CPES-CAAP 2023-2024

L’hôtel de Craon, ancien hôtel de police de la Rochelle, a accueilli le 1er juin 2023, et pendant 3 mois, 5 artistes en résidence. Dans la continuité de cette résidence, ils ont investi ce même lieu afin d’y créer une exposition. 

Nous avons eu la chance de la découvrir le mardi 12 septembre.

Louis Guillaume, un des artistes ayant travaillé sur le projet, nous explique que ces résidences permettent de faire des rencontres, de se nourrir de ce qu’apporte l’espace et d’avoir un lieu pour travailler et ensuite exposer leurs œuvres. Les artistes bénéficient également d’un (petit) salaire et d’un logement pendant les trois mois.

Louis Guillaume

L’exposition nous a donc été présentée par Louis Guillaume. Cet artiste Rennais a été diplômé des Beaux Arts de sa ville natale (EESAB Rennes) en 2019 et fait partie des lauréats du programme “monde nouveau” du ministère de la culture. Il porte un intérêt particulier pour le vivant, il a présenté pour cette exposition plusieurs sculptures à base de matières végétales. Son but pour cette résidence était de diversifier les médiums utilisés et de développer d’autres champs d’expérimentation. Les premières œuvres qu’il nous a présentées sont réalisées à base de « coton » de peuplier noir populus nigra, aussi appelé neige de printemps, une pratique qu’il peaufine depuis quelques années puisqu’il en récupère depuis 2017 lors de grandes récoltes.

Il réalise des sculptures constituées de grandes grilles sur lesquelles il a placé d’un côté son coton de peuplier et de l’autre des cheveux d’anges séchés, aussi appelé Stipa tenuissima. Il travaille ensuite la matière en la brûlant pour jouer entre les contrastes entre les parties brûlées ou non de l’œuvre.

Ses œuvres parlent du rapport entre l’humain et la nature, Louis essaye de redonner au coton de peuplier la visibilité qu’il mérite. Il nous explique que le peuplier noir présent partout en France est une espèce de peuplier à l’origine de toutes celles qu’on peut trouver dans le monde. Cela témoigne selon lui de la domestication de la nature par l’homme qui sélectionne les plantes qui forment notre végétation environnante et les exporte à travers le monde, bousculant tout un équilibre. Sur une des œuvres, on peut voir un papier de blanc d’œuf monté en neige que Louis a incorporé à la composition.

Il y a un côté incertain dans ses œuvres parce que le feu prend vite, “c’est le non contrôle qui a donné la forme”.

En continuant la visite, on tombe ensuite sur une sculpture faite en cheveux d’anges moulée sur le corps d’une de ses amies, puis sur une doudoune cousue à la main par une designeuse textile, avec cette idée de se servir de cette matière afin de développer sa pratique entre l’art et le design. La doudoune est réalisée en papier de blanc d’œuf et doublée en coton de peuplier. Il nous précise que l’assemblage à duré 2 semaines, et qu’une séance de prises de photos de la doudoune portée sera réalisée prochainement. Louis Guillaume par cette réalisation nous explique qu’il passe dans un premier temps par un aspect esthétique afin d’éveiller la curiosité du spectateur et que par la suite il s’intéresse, se montre sensible à cette matière qu’est le Stipa.

La dernière œuvre de l’exposition de cet artiste que nous avons eu la chance de voir est une sculpture en stipa sèche. Le jeune artiste nous explique que la stipa est le matériau qui l’a emmené vers l’utilisation de végétaux dans sa pratique artistique.

La sculpture est une sorte d’enchevêtrement de stipa qui crée des boucles et des plis. Il nous explique le processus de réalisation. Pour créer cette œuvre, il a brossé la plante une fois sèche pour enlever toutes les graines, puis il a créé un grand tapis pour ensuite le retravailler et le modeler. C’est un matériau à mémoire de forme très malléable. Avec cette sculpture, il joue sur la notion de gravité, il travaille une “chose organique qui tombe” et lui “donne la forme qu’elle veut prendre”.

Louis Guillaume a l’habitude de faire beaucoup d’essais et a un rapport très direct avec la matière. Il ne travaille pas sur un format spécifique comme un peintre par exemple mais crée des assemblages, des compositions.

Il recycle la matière, construit puis déconstruit. 

Il décrit son travail comme pauvre, animal, presque préhistorique.

Nous avons ensuite eu la chance d’accéder à son atelier ou deux œuvres en stipa étaient encore en cours de création, la première mêle des recherches sur le volume, les techniques et la matière, tandis que la deuxième comporte des stipas récoltées à des moments différents dans la saison, qui ont donc des couleurs différentes. Il s’agit donc plus d’un travail sur la mise en place, les différents âges et formes.

Les projets de Louis Guillaume sont donc en perpétuelle évolution, il a différents projets en cours. Par exemple, il part en fin d’année au sud du Brésil à Porto Alegre, de nouveau en résidence.

Quentin Gouevic

Le deuxième exposant dont nous avons vu les travaux s’appelle Quentin Gouevic. Il a 27 ans, sort diplômé des Beaux-Arts de Nantes et intégrera les Beaux-Arts de Paris à la rentrée. Quentin crée des peintures abstraites, il travaille sur des espaces colorés, avec une réflexion autour de la gestuelle, du mouvement, et de la transparence des couleurs. Il raconte que ses images se construisent naturellement, qu’il s’intéresse à sa propre immersion et à celle du spectateur dans des champs colorés. Il aime travailler des mois durant sur ses toiles pour avoir le temps d’y revenir et de changer de point de vue.

Le jeune artiste essaye ardemment d’aller de plus en plus loin et de se dépasser en termes de formats, de couleurs, de gestes et de prises de risque, son travail est basé sur un lâcher prise tempéré par un certain contrôle sur ce qu’il entreprend. Pour cela, il est habitué à retourner ses toiles régulièrement afin de repartir à zéro en changeant de point de vue pour trouver de nouvelles idées de “casser l’équilibre, de créer de la surprise”. Quentin fait surtout des recherches sur la couleur en s’aidant de son carnet pour travailler avec des peintures diluées. La dilution lui permet en effet de créer des couches de couleur presque transparentes qui laissent apercevoir les couleurs disposées auparavant en dessous. Il crée aussi grâce à ce procédé des coulures qui vont dans tous les sens du tableau dont malgré une apparence imprévue dont il contrôle la taille et la disposition avec précision.

Lors de cette résidence, le lieu l’a beaucoup aidé en lui offrant plus de place pour travailler, lui permettant de travailler sur plusieurs tableaux à la fois et de revenir ensuite sur chaque tableau dans le but de le retravailler. La multitude de projets en cours lui laissait la possibilité de s’aérer l’esprit en travaillant sur un projet différent, ce qui stimulait son imagination. De plus, cette organisation lui permettait, ayant plusieurs tableaux sous les yeux, de créer des peintures différentes. En effet, sans la vision de plusieurs tableaux en simultané, il serait plus tenté de reproduire ce qu’il a déjà fait. Ce nouveau procédé créatif lui a donc permis de “passer un cap” dans sa pratique plasticienne.

Neal Fox

Neal Fox, un artiste reconnu, qui faisait partie de la résidence, mais que nous n’avons pas pu rencontrer, est diplômé du Royal college of Art. Il est également représenté par la galerie Suzanne Tarasiève depuis 2008 et deux de ses expositions personnelles ont fait l’objet d’un catalogue.

Il dessine depuis qu’il est enfant, selon lui c’est sa façon de comprendre le monde, de créer sa réalité. Dès sa jeunesse il a commencé à dessiner le fantôme de son grand père décédé et il l’imaginait interagir avec le monde et différents personnages.

Il se spécialise dans le dessin à l’encre de chine mais pour cette résidence à la Rochelle il a utilisé pour la première fois uniquement de la peinture acrylique.

Son travail est axé autour de la mythologie, des rêves, des histoires avec un goût pour le monde de la nuit, pour le “film noir”.

Johanna Mirabel

Johanna Mirabel est une peintre diplômée des Beaux Arts de Paris en 2019. Son travail est très en lien avec ses origines et son héritage. Elle peint des espaces intérieurs avec beaucoup de points de fuite ce qui rend un résultat instable, en train de se construire… Il existe dans sa pratique plusieurs écritures picturales, des zones plutôt abstraites, plutôt réalistes. Cela décrit le principe de créolisation, tel qu’il a été pensé par le poète et philosophe Édouard Glissant, une référence très importante pour elle. Il explique que, en tant qu’afrodescendant.e.s, ses origines ne sont ni linéaires ni pures.

Le plus important selon elle, ce sont les points de contact. 

Il y a toujours un contraste qui opère à travers les notions qu’elle apporte, qui parlent à la fois de son héritage et de sa transformation et de thématiques personnelles qui l’intéressent. C’est le point de contact de ces deux univers qu’elle représente.

Elle cite comme exemple l’utilisation de la couleur ocre rouge : c’est la couleur de la sanguine, un médium très utilisé dans l’art traditionnel occidental, mais aussi de la Terre en Guyane.

La végétation est aussi un thème récurrent chez elle et est représentée d’une manière particulière, presque en négatif. De plus, le bois est aussi très présent sous la forme d’un parquet et évoque les essences des bois guyanais.

D’un autre côté, elle cache aussi des références à la peinture classique Occidentale comme la corbeille de fruit de Caravage redessinée dans une de ses œuvres par exemple. 

 Les personnes qu’elle représente sont généralement des proches comme sa sœur jumelle, elle les filme et fait des arrêts sur image pour s’en servir de référence, ce qui permet de créer une image instable d’un léger mouvement.

 Elle a aussi l’habitude de faire des jeux de brillance grâce à sa peinture à l’huile qu’elle dilue plus ou moins. 

Chez elle, c’est “la forme qui sert le concept”.

Nils Vandevenne

Nils Vandevenne est doublement diplômé, de la Villa Arson (école nationale supérieure d’art de Nice) en 2018 puis des Beaux-Arts de Paris en 2021. Cet artiste ayant développé un travail de peintre a une approche désormais inverse. Ancrant sa pratique dans le fait de questionner notre rapport à la peinture, il est dans l’action de “dépeindre”. Il crée ses peintures en retirant de la matière, à l’opposé avec l’idée de la peinture qui est d’en ajouter, il creuse avec des outils d’artisan (défonceuse, outillage de menuisier…).

Lors de cette résidence ( dans un ancien commissariat de police) Nils a utilisé d’anciens bancs et portes des cellules de dégrisement qu’il a ensuite laquées en noir brillant puis qu’il a creusées dans des formes abstraites révélant ainsi la structure, l’histoire, le passé de ces objets. Là encore, il y a une forme de lâcher prise sur la forme et le contrôle du geste du travail à la machine laissant place à la surprise de « ce qu’il y a dessous », il découvre. Dans cette démarche de redécouverte de vestiges du passé, Nils a repeint l’entièreté de la salle de la même façon et couleurs qu’un des murs et qui laisse entrevoir les traces du travail du plâtrier en dessous des revêtements muraux.

Dans une pièce adjacente, le processus créateur de Nils est donné à entrevoir à travers le bureau et le martyr sur lequel il a fait toutes ses découpes ainsi que des tas de sciures de bois créant ainsi « une sorte d’installation documentaire » de son travail.

Lael Fahy et Noémie Guillaud